D’être mère et de devenir maman

Je n’ai pas aimé être enceinte. En psychanalyse, la découverte de la différence des sexes est très éprouvant pour la petite fille. Elle constate que l’homme a un pénis qui est considéré comme un attribut de puissance (le phallus). Elle constate aussi qu’elle n’en a pas et se sent donc incomplète. La grossesse est censée remettre les pendules à l’heure et faire que la femme se sent enfin entière et puissante. Je schématise un peu mais l’idée est là. Quand j’étais enceinte, je n’ai ressenti aucun épanouissement, aucune complétude, tout juste des ballonnements parfois. Je n’ai pas détesté non plus. Disons que j’ai trouvé ça contraignant. Déjà parce qu’on a plus le droit de boire de la bière et de manger du saucisson. Ensuite parce que je n’ai passé qu’une nuit complète en neuf mois (et je vous dis pas après) : parce que je dors sur le ventre et que c’est impossible avec des seins douloureux d’abord et un gros ventre ensuite, à cause des nausées puis des remontées acides, à cause du mal de dos, parce que j’avais trop chaud, à cause des cauchemars, parce qu’il fallait se lever tout le temps pour faire pipi, à causes des angoisses… Je trouve qu’une femme enceinte est belle, mais chez moi le ventre est devenu très rond qu’à la toute fin. Avant j’avais juste l’air enrobé. Et puis parce que ça fait sacrément mal! Aux seins, au ventre, au dos et aux côtes!

Quand on m’a posé le petit dessus, je me souviens que ma première pensée était que je le trouvais beau, ce qui m’a presque étonnée. Ensuite je me suis demandé ce que je devais en faire. On m’a dit de lui faire un bisou avant qu’ils l’emmènent. Alors je lui ai fait un bisou, parce qu’ils me l’ont dit. Ma gynéco m’avait raconté qu’avant sa première grossesse, elle se demandait comment elle allait réagir à l’accouchement, elle qui avait vu tant de nouveaux nés. « Mais quand on vous le pose dessus et que c’est le vôtre, c’est pas du tout la même chose » m’affirmait-elle. Personnellement je pense que si on m’avait déposé un cageot de gambas dessus, j’aurais réagi pareil. Ça ne m’inquiétais pas plus que ça. J’avais vécu ma grossesse avec beaucoup de détachement émotionnel, je ne m’attendais pas à un coup de foudre à l’accouchement. Pendant qu’ils me rafistolaient, j’ai souhaité qu’ils ne me le ramènent pas trop vite. Je me sentais si mal, j’ai eu besoin de dormir un peu. Je ne me souviens même pas de la première mise au sein. Je me souviens qu’il ne voulait pas manger à la deuxième et que l’auxiliaire de puériculture a tenté de le nourrir à la pipette. Ah comme je l’ai détesté cette jeune blondinette qui faisait des areuh à MON bébé. Il n’a rien mangé et bizarrement ça me rendait contente. La première nuit une merveilleuse infirmière venait m’apporter le petit dès qu’elle l’entendait. Elle me l’a mis souvent dans les bras et elle m’a aidé à commencer à tisser le lien. Le reste du séjour à la maternité j’ai très peu dormi. Pas parce que le petit pleurait mais parce qu’il existait et qu’il fallait donc que je sois attentive à tout ce qui l’entourait. J’étais dans un état d’hypervigilance. La nuit je dormais assise avec le bébé dans les bras. Je me reposais le jour quand Papa Breizh était là.

Les premières semaines ont été horribles. J’étais dans une espèce de sidération permanente mélangée à une angoisse omniprésente et une fatigue extrême. Tout était mécanique mais je faisais tout. Il y avait une sorte de lourdeur immuable, j’étais la mère, il fallait que je m’en occupe. Les gens me demandaient « pourquoi il pleure? ». Je ne savais pas. « Mais tu dois le savoir, les mères sentent ces choses là« . Connerie! Ces histoires de se faire confiance me culpabilisaient encore plus. Je n’avais aucune idée de ce que pouvait bien vouloir mon bébé. Et c’est tout aussi absurde de faire confiance à son bébé, il n’est pas mieux lotit que vous pour savoir ce qui cloche. Il sait qu’il y a un truc qui va pas mais de là à savoir si c’est la faim, la fatigue ou une étiquette qui le gratte, il ne l’apprendra qu’avec l’expérience.

Mais je ne suis pas d’accord avec Mme Badinter et je pense que l’instinct maternel existe. L’instinct maternel n’est pas savoir ce que votre enfant veut mieux que tout autre, ça c’est de la divination. L’instinct maternel est ce qui explique que je n’ai pas jeté mon fils par la fenêtre, que j’ai arrêté la bière et le saucisson, que je me suis levée chaque nuit et encore et encore.(C’est aussi ce qui explique que l’espèce humaine soit toujours en vie malgré les douleurs de l’allaitement et les pleurs du soir). Pas parce que je le voulais, pas par amour mais parce que c’était comme ça, parce qu’il le fallait. Et ça a commencé à aller mieux quand j’ai arrêté de résister, quand j’ai accepté de sacrifier mon corps et mes besoins (faim et sommeil) pour me dévouer au nourrisson.

Les gens qui portaient Bébé Putois me le rendait dès qu’il chouinait un peu m’affirmant qu’il voulait sa maman. Je trouvais ça bête car je ne sentais pas de différence entre la façon dont il réagissait avec moi ou avec les autres. Qu’est-ce que ça m’énervait quand, épuisée de m’en être occupé toute la journée, je refilais le bébé à Papa Breizh et qu’il n’arrivait pas à faire cesser les pleurs. C’est pourtant pas compliqué, il suffit de le tenir droit, de se promener et de chanter des chansons. Et ça m’horripilait encore plus quand il me poursuivait avec le braillard dans la cuisine où je m’étais réfugiée prétextant de la vaisselle à faire. « Ta présence le calme » arguait Papa Breizh à cours de solution. Et ça m’ulcérait, mais c’était vrai. Et quand on avait fait le tour de tout l’appartement douze fois, c’était encore moi seule qui pouvait l’apaiser grâce à mes mamelons magiques. L’allaitement est à la fois aliénant et bien pratique.

Et puis Putois a commencé à grandir et à s’ouvrir au monde. Il faisait de vrais sourires et babillait tout doucement. Le matin quand j’allais le chercher, il se calmait tout de suite et j’avais même le droit à des esquisses de sourires. Papa Breizh jamais (il n’avait qu’à le laisser téter aussi!). Et c’est quelque part au milieu de tout ça, entre mes résistances qui lâchent et les premiers sourires du matin, que j’ai commencé à l’aimer. Quand on n’était plus juste dans l’animalité mais dans l’humanité. Alors,entre les câlins et les risettes, les émotions se sont immiscés. Petit à petit s’est construit un amour que je n’aurais pas imaginé possible. Je me souviens d’avoir été déçue au départ en me disant « c’est ça être mère« . Je pensais que j’aurai besoin de bien d’autres accomplissements pour être satisfaite de ma vie. Et pourtant aujourd’hui, s’il n’y avait qu’une seule chose à garder, ça serait ça.

Aujourd’hui j’aime mon fils de tout mon cœur et de tout mon corps. Il me manque même parfois lorsqu’il dort. Je fond quand il sourit alors que je lui chuchote des douceurs dans l’oreille. Papa Breizh et moi nous battons pour le premier sourire du matin et le dernier du soir. Il me disait encore il y a quelques jours « Il est de plus en plus beau notre fils. On l’aime de plus en plus.« . Lui non plus n’a pas résisté et est tombé amoureux.
Aujourd’hui je suis une maman. Je suis sa maman.

Calin&RisetteDEtreMereEtDevenir

17 réflexions sur “D’être mère et de devenir maman

  1. Lire ton article me fait chaud au coeur … car j’ai eu ce sentiment de détachement pendant la grossesse et un ressenti d’après grossesse comme le tien : j’ai toujours mis ça sur le fait que c’est mon premier bébé ou que je suis anormale (au choix lol). Et pourtant pour mon fils, je donnerais ma vie sans hésitation.
    Alors merci pour ton article … ça me réconforte de penser que d’autres mamans sont comme moi.
    Je te souhaite une belle journée ^^

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    • Ah ben merci aussi de ton commentaire , ça m’a touchée de t’avoir touchée XD
      Après tout on n’est pas des femmes faciles c’est tout, il nous faut un peu de temps pour tomber en amour!Mais assez bizarrement c’est venu plus vite pour mon chat…je ne devrais peut-être pas dire ça…

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  2. J’aime beaucoup ton article. Je m’y reconnais. Pas dans tout, mais pas mal quand même ! Je suis toujours contente de voir que des mamans osent dire, que tout ne s’est pas passé comme on l’imagine avant, que tout n’est pas une évidence, même pas l’amour, et que non, on ne comprend pas notre bébé parfaitement dès sa naissance !
    Alors merci 🙂

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    • Ah ben si c’est pour raconter mes malheurs tu peux compter sur moi XD Moi qui panique dès que mon bébé ne prend pas son biberon ou qu’il hurle quand on le met sur le ventre.
      Non mais là j’exagère, je n’ai aucune culpabilité par rapport à la manière dont se sont tissées les liens avec mon fils. Je trouve qu’au départ tu es dans un tel mode survie que tu es complétement dans l’animalité. L’émotion n’a pas sa place à part peut-être l’angoisse qui est plutôt primitive. Quand mon fils est devenu un petit humain il était alors évident de l’aimer.
      Je trouve que c’est plutôt une belle histoire d’amour quand ça se construit comme ça. C’est lui qui a fait de moi cette maman (et cette maman deviendra surement encore une autre maman au fur et à mesure que ce bébé évoluera).

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  3. Quel bel article 🙂
    Je m’y retrouve un peu aussi. J’ai vécu ma deuxième grossesse avec beaucoup de détachement, j’avais peur de ne pas l’aimer autant que mon premier, j’avais peur qu’elle viennent se mettre entre nous…
    Puis quand elle est née, je suis tombée amoureuse à la seconde 🙂
    Par contre, j’ai eu des moments ou je devenait folle. Papatam aussi me la posait dans les bras « tiens elle pleure, elle veut surement le sein » « tiens elle pleure, elle veut maman »
    Plusieurs fois j’ai voulu hurler tellement ça m’énervait.
    Mais tout ça évidemment, on en parle pas. Alors c’est super, que toi, t’en parles 🙂

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    • Ah merci!
      Ta petite deuxième que pourtant tu préfères…oui je te taquine par rapport à ton article XD
      Je sais pas, on parle de baby blues parfois mais je ne suis pas sure que ça soit ça. Je crois juste que c’est dur l’arrivée d’un enfant. Que ça bouleverse tellement de chose qu’il est normal d’être perturbée. C’est tellement chouette d’être le centre du monde de quelqu’un et pourtant c’est tellement lourd. Parfois j’avais juste envie de partir de la maison, de m’éloigner, et pourtant au départ dès que je m’éloignais (pour faire les courses ou chercher le pain) je ne pouvais pas m’empêcher de penser à mon bébé.

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      • Biensur que je la préfère… ahaha j’ai eu peur en voyant ta phrase !
        Je ne pense pas non plus, on a besoin de souffler c’est normal, pourquoi le papa et le reste de la famille pourrait souffler et pas nous? Parce que c’est le rôle d’une maman ?
        Je comprends j’avais pareil ! Moi dans ces cas là, je me réfugie dans un bon bain avec la porte fermé à clé… sauf que Petitam tambourine à la porte « mamaaaaan je veux avec toi dans le baiiiin »

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      • C’est vrai que c’est parfois plus facile d’être un homme.
        Je me suis torturée l’esprit avant de reprendre mon travail et encore une fois avec l’hypothétique temps plein, un mec ne se pose pas la question d’être un père indigne, il va au boulot et c’est tout.
        Comme je te comprends pour le bain, pendant les premiers mois j’ai supplié mon chéri pour qu’il s’occupe du fiston pendant que j’irai faire trempette.

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  5. Merci pour ce bel article déculpabilisant. 🙂 J’en suis à 4 mois et demi de grossesse et je me reconnais dans tout ce que tu décris de cette période. Les débuts ont été horribles. Avec 8 de tension je ne pouvais rien faire, pas même lire ou regarder la tv, juste attendre que le temps passe. Je n’arrivais pas à ressentir quoi que ce soit pour cette chose qui se développait en moi. J’étais horrifiée à l’idée qu’elle dirigeait déjà ma vie et que je ne pouvais plus rien y changer. Si on m’avait dit « bien évidemment que tu es déjà une mauvaise mère, tiens, voici une corde », je crois que je l’aurais utilisée pour lui éviter les souffrances futures que j’allais lui faire subir. 😀 C’est allé tellement loin que j’ai repris rendez-vous chez mon psy qui m’a directement mis face au fait que je n’acceptais pas cette grossesse. Nous acceptions le fait que nous allions être parents quelques mois plus tard (et nous nous en réjouissions) mais nous n’acceptions pas le fait que notre vie avait déjà changé. Le lendemain, la sage-femme en remettait une couche. Ca m’a fait très mal de me prendre cela dans les dents. J’ai versé quelques litres de larmes supplémentaires 😉 mais on s’est rendu compte qu’ils n’avaient pas tout à fait tort. Depuis, j’ai des périodes plus difficiles mais entre la vie est plus calme. Pas parfaite, mais plus douce. Et je crois les doigts pour qu’elle ne soit plus que plaisir d’ici au mois de septembre. 🙂

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    • Je suis contente de t’avoir ôter un peu de culpabilité.
      Je te trouve dure avec toi-même (signe que tu commences déjà à être mère XD). Pas facile d’être clouée au lit sans rien pouvoir faire, c’est un peu normal de ne pas être épanouie dans cet état, non?
      Et puis je trouve que choisir d’avoir un enfant c’est quand même renoncer à un tas de choses, encore plus en tant que femme. Je dis pas non plus que c’est sacrifier toute sa vie mais faut être lucide, dans la vie on ne peut pas matériellement tout faire. Un enfant ça rogne sur ton couple, sur ta vie de femme et sur ton corps. Pendant ma grossesse j’ai lu ‘le conflit, la femme et la mère’ et j’avais des élans de féminisme. Je me disais que c’était vraiment illogique de faire un enfant, mais bon je le voulais. Je me déprimais un peu. Mais pour moi cette phase était nécessaire, elle faisait partie du processus de deuil. Parce que clairement c’est un bouleversement dans la vie, qui commence dès la grossesse, et ça implique de faire des deuils. Et c’est pas toujours évident quand on a passé une vie à construire un couple, une profession…Mais du coup c’est une phase qui mène à l’acceptation.
      Du coup je pense plutôt que tu es sur ton chemin vers l’acceptation plutôt que dans la non acceptation. (Franchement tu t’es reposée quand on t’a dit de le faire, tu culpabilises, tu vas revoir ton psy… même si tu ressens des choses négatives, tu places déjà ton bébé au coeur de ta vie, du coup tu le fais déjà exister dans ta tête, c’est déjà de l’acceptation).
      Après chez moi je sais que cet absence de sentiment était aussi un moyen de se protéger de peur de le perdre. J’ai eu du mal à m’autoriser à être heureuse.

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  10. Il fait du bien, cet article! J’ai vécu de manière très similaire ma maternité et m’en suis toujours voulue. « Pourquoi je ne comprends pas ses pleurs? »/ »Elle ne m’aime peut-être pas »/ »Ce que je ressens? Une énorme fatigue et du stress ». Ca s’est tassé, effectivement, lorsque les échanges ont réellement commencer: les sourires, les gazouillis… Bref, ton article me soulage de ne pas être la seule à avoir eu cette période difficile!

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    • Merci de ton commentaire ^^
      Je suis contente de t’avoir rassurée. Pour ma part, ce fonctionnement ne m’a pas culpabiliser, je me connais. Bien sur j’aurai aimé avoir le coup de foudre au premier regard mais bon, il a fallu qu’on s’apprivoise. Reste que pour le deuxième, tout était plus ‘automatique’.

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